Table ronde avec l’équipe du film Teddy

Faisant partie des films de Cannes sélectionné pour le Festival de Deauville nous avons rencontré, autour d’une table ronde, l’équipe du film Teddy réalisé par Ludovic et Zoran Boukherma, dont vous pouvez retrouver la critique ici : http://www.zickma.fr/critique-teddy/

Rencontre avec les frères Boukherma, Anthony Bajon et Christine Gauthier.

Attention cet article contient des spoilers sur le film.

21ST Century Women : Quel était pour vous l’enjeu de réaliser un film de genre en France en étant des jeunes réalisateurs et surtout est-ce que vous vous êtes imposés des limites dans les scènes de gores, ou en considérant le public que vous allez avoir ?

Ludovic et Zoran Boukherma : Je sais pas si c’est une question d’enjeu, c’est plutôt une question d’envie. Nous, nos premiers amours cinématographiques c’était les films d’horreur tout bêtement. Quand on était petits on adorait Les contes de la crypte, ou des films d’horreur des années 80, nous on a été complètement biberonnés à ces trucs là. Et après notre premier film qui était plus réaliste, on a voulu revenir plutôt à ça.

Après pour le gore, je pense qu’on s’est pas posé la question de où est-ce qu’il fallait mettre la limite, je pense que la question c’était plutôt de comment montrer le loup-garou, parce que c’est toujours un peu délicat de montrer un monstre. Déjà techniquement, on est limité et même artistiquement, est-ce qu’il faut laisser le spectateur aussi imaginé, est-ce que trop montrer c’est pas aussi risquer de décevoir.

21ST Century Women : Vous parliez que vous étiez inspiré du cinéma d’horreur un peu kitsch, du coup est-ce que avez donné des devoir à vos acteurs de ce cinéma là et est-ce qu’il y a des personnages qui vous ont inspirés pour construire vos personnages ?

Christine Gauthier : Pour le coup, pas du tout. Leur scénario est très précis, donc la demande est très claire. Et après ils laissent beaucoup de liberté par rapport à ce qu’on a envie de construire et comment on a envie de nourrir nos personnages, donc non, ils nous ont ni donnés de devoir et moi je ne suis pas allé puiser dans le cinéma d’horreur pour mon personnage.

Anthony Bajon : Comme Christine a dit, non pas de devoirs. Et moi mes notions de films d’horreur sont vraiment assez limités et pour le coup je me suis posé la question de est-ce qu’il fallait que j’en vois pour construire mon personnage. Et puis la peur de faire un copier-coller, d’aller chercher dans un truc d’influence et me dire « ah ouais mais ça, ça marchait bien dans ce film là. »

Mulderville : Quel a été la scène la plus difficile à tourner pour vous, les réalisateurs ?

Ludovic et Zoran Boukherma : La séquence d’attaque, parce qu’il y avait beaucoup de figuration à gérer, beaucoup de plans, beaucoup de choses avec les effets, sans savoir si ça allait marcher ou pas. Y avait évidemment plus de choses au tournage que ce qu’on voit dans le film.

Donc ça a été assez difficile parce qu’on ne l’avait jamais fait, de scène de ce genre là et parce que la figuration c’est quelque chose dont on avait pas forcément l’habitude et puis l’enjeu, parce que si ça c’est raté, ou si ça ne marche pas, on est vraiment mal, puisque c’est censé être le cœur du film.

Mais on a fait le choix de plutôt montrer ce qu’il se passe après, le tournage nous a un peu amené à ça, à se dire qu’il valait mieux montrer ce qu’il se passait après le massacre, plutôt que le massacre en lui-même, parce que c’était prendre le risque d’être décevant. On s’est dit si on veut faire comme Carrie, on a pas les moyens, du coup on a décalé la dimension spectaculaire sur le résultat du massacre quoi.

Et c’est ça le plus dur, ça nous a pris une semaine, c’était assez intense.

Fou de théâtre : Je trouve que le fait, que vous n’ayez pas eu énormément de budget fait en sorte que le film n’est pas que un film de genre, c’est aussi un film de sensation, d’émotions et de rencontres avec des gens je trouve.

Ludovic et Zoran Boukherma : Nous nos références sont très américaines à la base, on a grandi avec des films très américains, mais on ne voulait pas faire une imitation de ce genre de films et pour nous le plus important c’était justement de faire rencontrer ce cinéma avec la France rurale dans laquelle nous on a grandis. Puisqu’on vient du Lot et Garonne, dans un petit village et comme on aimait pas du tout où l’on vivait, c’était un moyen de s’évader avec ces films là.

Et comme maintenant on a grandi, qu’on habite à Paris et qu’on s’est réconcilié avec cet endroit et du coup le fait de faire un film de genre en France c’était aussi une occasion de réconcilier ces deux aspects et de filmer finalement les gens qu’on connaissait nous quand on était petits et de les intégrer dans cet univers là qu’était le nôtre.

C’était important aussi d’avoir des acteurs non professionnels qui eux, ont un accent et permettent d’ancrer le film dans la France telle qu’elle est.

Zickma : Christine, c’est votre premier film, comment ça s’est passé ?

Christine Gautier : Oui, oui. J’étais particulièrement stressée, mais ça s’est très bien passé. Il y avait une très bonne atmosphère, propice au travail sur le tournage et il y avait une équipe d’ailleurs plutôt jeune, mais très sympa.

Ludovic et Zoran Boukherma : Tu t’es préparée en amont aussi.

Fou de théâtre : Anthony, je ne vous connaît pas bien, j’avais envie que vous me parliez un peu de vous, votre parcours. J’ai trouvé qu’il y avait quelque chose chez vous d’assez surprenant et que j’ai beaucoup aimé. Les regards notamment.

Anthony Bajon : Mon parcours ? Je rêve de faire du cinéma depuis que je suis tout petit, depuis que j’ai 5 ans. Mes parents m’ont dit passe ton bac d’abord, c’est ce que j’ai fait, pour leur faire plaisir.

J’ai fait une école de cinéma, j’y suis resté pendant… 2 semaines. D’un commun à accord avec le directeur, je suis parti. Et puis je me suis lancé dans des castings, ça a fonctionné tout doucement et j’ai commencé un petit peu à bosser.

21ST Century Women : Par rapport aux personnages, j’ai sentie que leurs histoires et leurs passés étaient assez flous. Et nous en tant que spectateurs, on sait pas vraiment d’où ils viennent, leurs parcours, etc. Pourquoi avoir choisi de prendre cette direction là ?

Ludovic et Zoran Boukherma : Tu veux dire pour le personnage de Teddy par exemple ?

21ST Century Women : Oui, on sait pas pourquoi il est là, même par rapport à celui qui fait office de père pour lui.

Ludovic Boukherma : Ce qu’on voulait créé avec Teddy (Anthony Bajon) c’est un foyer où on sente qu’il y a un passif qui est lourd, qu’il y a quelque chose qui cloche et qui ne va pas, qui est profondément ancré en lui. Et on voulait pas forcément donner la réponse de ce que c’était.

Nous on s’est raconté une histoire assez précise, mais qu’on a pas mis dans le film, on avait envie que les spectateurs comprennent que le passé de Teddy est un passé compliqué, difficile. Il a plus ses parents, il vit dans un foyer adoptif, etc. Et que le passé de Rebecca (Christine Gauthier) est beaucoup plus tranquille. Elle a une maison, ses deux parents, elle va au lycée, etc.

On a fait en sorte qu’on comprenne sans donner toutes les clés.

Zoran Boukherma : Oui on voulait jouer sur l’opposition avec Rebecca qui a plutôt un cocon familial bourgeois, confortable. Et Teddy qui, à côté à une situation plus fragile, plus instable. Et je pense que ça s’est suffisant pour comprendre la colère qui l’anime, y avait pas besoin de donner plus.
Et on préférait s’attarder sur Teddy au présent, avec ce qu’il faut d’informations pour comprendre qui il est.

Ludovic Boukherma : Y a aussi par exemple le père de Benjamin qui est le rival de Teddy qui devient le copain de Rebecca après lui. Son père c’est le maire du village, c’est un élu local, il est installé. Alors que Teddy est élevé par un mec que tout le monde trouve bizarre et qui parle pas comme tout le monde, qui n’est pas son père. Donc il y a ce genre d’oppositions qui existent.

21ST Century Women : En parlant d’oppositions il y a beaucoup d’humour dans le film, comment est-ce qu’on construit un film pour qu’il y ait cet équilibre de genres, qui fait qu’il n’y en a pas un qui déborde sur l’autre, ou qui le mange ?

Ludovic Boukherma : C’est que l’équilibre est assez ténu, entre comédie et genre et il y a aussi que nous on glisse vers le drame à la fin, avec cet événement assez grave à la fin du film et mettre trop de comédie dedans c’est aussi un risque. On peut nous dire que c’est de mauvais goût de rire de certaines choses un peu violentes.

Nous je pense qu’au tournage on s’est un peu, pour caricaturer, on s’est toujours laissé l’option d’une prise comique, une prise un peu moins. Parce qu’on savait qu’ensuite, ce serait au montage qu’on aurait besoin de tempérer tout ça. On a eu des versions de montage où la comédie était présente tout le long et à la fin y avait encore des petites touches de second degré et ça c’est en faisant plusieurs projections et en s’interrogeant qu’on a fini par créé un truc où on commence le film avec plutôt pas mal de comédie et plus ça avance, plus elle laisse la place au drame.
Ça c’est quelque chose qu’on a construit au montage et grâce au fait qu’on se soit laissé l’option d’être plus ou moins comique dans chaque prises.

Et puis après nous dans les films d’horreurs classiques qu’on aime bien, des années 80 notamment, les scènes qui ne sont pas des scènes de gore, ou autre, sont souvent comiques. Par exemple, dans Freddy de Wes Craven les séquences entre les jeunes, c’est plutôt des séquences de comédie en fait.

Zoran Boukherma : On se sent plus proche de ce cinéma d’horreur, plutôt que des films plus contemporains. Aujourd’hui on trouve qu’il y a des films plus sérieux, quand on voit les Saw, tout ça, c’est un peu plus noir et premier degré. Nous nos références c’est plutôt Freddy, qui est quand même très drôle, c’est gore, mais ça se prend pas au sérieux.

Fou de théâtre : Toutes les scènes dans le salon de massage, je trouve qu’elle sont superbes et pivot. Il se passe plein de choses, on arrive mieux à comprendre Teddy, il y a plein d’humour. Vous pouvez nous parler un peu de ces scènes là ?

Ludovic Boukherma : Teddy c’est quand même quelqu’un qui se fait taper dessus à tous les niveaux et on s’est dit qu’en plus si à son boulot il se fait harceler, du coup il a pas non plus de chance avec son travail. Et je trouve qu’après il y a l’alchimie entre Anthony et Noémie (Lvovsky) qui a très bien fonctionné.

Zoran Boukherma : La question du travail ça été une vraie question, parce que depuis le début, dés les premières versions du scénario, on voulait qu’il ait un boulot, que ce soit un peu compliqué. D’abord on était parti dans un truc où il bossait dans une station service, mais on s’est dit que c’était peut être un peu connoté cinéma américain de genre, années 80, quelque chose de déjà vu, où le personnage est pompiste, etc.

Et on s’est dit à 1 ou 2 mois du tournage, ça va pas. Ça va être un espèce de fantasme américain, ça n’existe pas les pompistes en France aujourd’hui, donc on voulait pas ça. Et du coup on s’est dit qu’un masseur de nuit c’était beaucoup plus réaliste (rires)

On voulait créé un peu la surprise avec ce personnage qui fout le bordel au village, qui roule vite avec sa voiture, qui est habillé en noir et on s’est dit si on le fout dans une station service, ça va être bien cliché. On a voulu aller à l’opposé de ça et du coup on va le retrouver habillé en rose en train de masser un gars. C’est plus original.

Et puis il y a aussi quelque chose avec le corps, avec le loup-garou on peut suggérer plein de choses avec des corps nus. Parce qu’il y avait déjà une scène où il attaquait Noémie (Lvovsky) dans la version où il travaillait dans la station-service, parce qu’elle était sa supérieure, mais le contact physique était moins évident, parce qu’il y avait un truc où il fallait qu’il aille la chercher, qu’elle essaye de l’embrasser, mais le contexte était pas évident.

Là, avec le massage ils se touchent déjà de base. Directement dans la première scène où on les voient ensemble, elle le masse. Il y avait déjà ce rapport un peu physique où l’on savait qu’on pourrait jouer avec le spectateur en se disant quand est-ce que le genre va s’immiscer dans tout ça.

Ludovic Boukherma : Il y a un truc d’anticipation dans le genre où on veut que le spectateur est peur et qu’il se demande à quel moment le genre va surgir, à quel moment Teddy va mordre quelqu’un. On s’est dit que si on le montre en train de masser des gens régulièrement, les gens vont se dire : « ah est-ce que ça va être là ? Ou là ? » Ça permettait cette petite appréhension.

Fou de théâtre : Puis c’est aussi des moments qui font le plus penser à un film américain, dans le décor et dans l’esprit.

Zoran Boukherma : Oui c’est pop, avec les néons roses, etc. Et Noémie qu’on a pas mal grimé d’ailleurs.

Ludovic Boukherma : C’est aussi pour casser un peu le côté rural, trop Ptit Quiquin, un peu campagne, qu’on aime beaucoup. Mais on voulait aussi quelque chose d’un peu différent.

Zickma : Anthony, vous démarrez juste votre carrière. Vous avez envie de vraiment jouer dans tous les styles de films différents ? C’est un peu ce qu’on voit d’ailleurs, vous jouez un fils d’agriculteur dans Au nom de la terre, ou dans La Prière où vous jouez un drogué en rémission dans un établissement catholique et là vous jouez un loup-garou. C’est une envie de ne pas jouer dans un seul style de film, de ne pas vous cantonner qu’à un seul genre de rôle ?

Anthony Bajon : Bah oui, parce que la problématique qui se pose quand on fait un film, c’est que derrière on vous propose toujours le même.

Donc là, il y a deux solutions, c’est soit d’accepter et de se dire y a du boulot jusqu’à dans 10 ans, ça peut être cool, on est à l’abri, mais… la filmographie est un peu la même, c’est juste les noms des réalisateurs et les titres qui changent.
Ou alors on peut aller, en tout cas c’est ce que je choisis de faire dans la limite de ce que je peux faire, d’aller vers des univers très différents à chaque fois, d’avoir des réalisateurs qui ont une idée précise de ce qu’ils veulent faire, mais surtout que ce ne soit pas la même histoire.

Quand Ludovic et Zoran ils racontent qu’ils ont été biberonnés au films d’horreur et à toute ces histoires, quand j’ai bossé sur Au nom de la terre, c’était pas du tout ça, c’était un fils d’agriculteur qui lui a grandi dans une ferme. On est pas du tout dans le même univers et ça c’est vraiment intéressant, parce qu’il y a un total décalage entre ce que chaque réalisateurs, scénarios, personnages propose. Pour moi c’est ça qui est intéressant dans le fait d’être comédien, sinon pour moi je ne trouve pas ça intéressant.

Mulderville : Quels sont vos projets en cours ?

Ludovic et Zoran Boukherma : Nous on est en train d’écrire le suivant, ça fait quelques mois qu’on travaille dessus, on espère le tourner l’année prochaine. Mais on ne peut pas vous en dire plus, on a juste envie que ça reprenne rapidement après ces derniers mois compliqués.

Christine Gautier : Moi comme c’est mon tout premier film, pour le moment je passe des essais et j’attends des réponses.

Anthony Bajon : Moi je viens de finir le film de Sandrine Kiberlain, cette année j’ai le film de Mouloud Achour qui va sortir et celui de Stéphane Brizé et j’en ai un autre qui s’appelle La 3ème guerre avec Leïla Bekhti et Karim Leklou. J’ai mon court métrage à moi que je vais réaliser qui est en production et mon long métrage qui est en écriture.

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