C’est au cœur du Périgord, dans la magnifique ville de Sarlat, que nous avons eu la chance de croiser la route de Nathan Ambrosioni. Le jeune réalisateur y présentait son tout nouveau film Les enfants vont bien, dans le cadre du Festival du Film de Sarlat.
Accueilli avec beaucoup d’émotion par les lycéens venus en nombre, mais aussi par un public curieux de découvrir la nouvelle création du prodige de Toni en famille, le film a su séduire par sa sincérité et sa justesse.
Et après cette projection chargée d’applaudissements, Nathan Ambrosioni nous a accordé un moment privilégié pour revenir sur cette aventure, sa vision du film… et surtout sur sa complicité retrouvée avec Camille Cottin, muse et amie, au cœur d’un duo artistique qui semble plus fort que jamais.
Z : Vous avez vu les lycéens ce matin ?
Nathan Ambrosioni : Oui, c’était impressionnant, ils étaient nombreux.
Z : Et les questions étaient intéressantes ?
Nathan Ambrosioni : Ils avaient plein de questions intéressantes et, clairement, vous avez de la concurrence. Je peux vous dire qu’ils étaient très affûtés, c’était trop chouette, et ils étaient hyper concentrés.
Z : On va commencer, d’une certaine manière, par la fin. Quelle était l’idée derrière le fait de dynamiter le happy end, tout en faisant en sorte que, malgré tout, ça reste un happy end ?
Nathan Ambrosioni : C’est une bonne question. C’est vrai que je crois que j’aime bien les fins irrésolues, ça me plaît de laisser au spectateur l’espace de réfléchir après le film. Ça m’intéresse davantage de le mettre en réflexion que d’être sûr qu’il a aimé ou pas. J’aime quand je vais au cinéma et qu’un film a le temps de m’habiter, que je puisse continuer l’histoire moi-même. J’aime l’idée d’avoir choisi un sujet délicat, pas facile. Si ce n’est pas pour amener le spectateur vers la lumière, ça ne m’intéresse pas trop. On commence par ce qu’il y a de pire — le départ de cette mère — pour aller ensuite vers une forme de lumière.
Pour la fin ouverte, cela vient du sujet principal. Le cas des disparitions volontaires est tellement complexe et riche que j’avais envie que le film honore ce mystère et cette complexité, et qu’on reste sur quelque chose d’irrésolu. Parce que dans la vie, les 15 000 personnes qui partent chaque année, on ne sait pas où elles vont, ni où elles sont. Si on apportait une réponse trop claire, le spectateur allait se mettre à juger — au-delà de nos compétences de spectateur ou de réalisateur — le choix de Suzanne (le personnage de Juliette Armanet).
Z : Il y a une forme de simplicité dans votre réalisation, comme si vous étiez nu, sans artifices.
Nathan Ambrosioni : C’est vrai que les films qui me bouleversent et m’intéressent le plus sont ceux qui cherchent la simplicité. Mais j’ai encore à apprendre, il y a encore des choses à faire là-dessus.
Z : Comment vous est venue l’idée du thème de ce film ?
Nathan Ambrosioni : Ça m’est venu en 2019. J’ai compris que c’était possible de disparaître lorsque j’étais à Avignon et que je suis tombé sur le terme de « disparition volontaire ». Je n’avais pas du tout conscience de ce que c’était. Sur le moment, je pensais que c’était le titre d’une pièce de théâtre, et en fait, c’est un terme sociologique. Il faut savoir qu’environ 15 000 personnes par an disparaissent ainsi. C’est une forme de droit à l’oubli, et ça me bouleverse. Ça me trotte pas mal dans la tête, si bien que depuis 2019, je n’arrête pas d’y penser, de prendre des notes.
Après, j’avais trop envie de retravailler avec Camille Cottin, et ça a été un peu le moteur aussi : me dire, comment va-t-on se retrouver ? J’avais ces notes dans mon téléphone, ce début d’histoire, cette femme qui part… Et je me suis dit que j’avais envie de parler de ceux qui restent, plus que de ceux qui partent. En vrai, ceux qui partent, ça m’intéressait aussi, mais comme ils sont très vaporeux par définition, mystérieux, je ne voyais pas trop comment faire un film sur eux. Parce que du coup, ça voulait dire que j’allais apporter des réponses que je n’ai pas dans la vie, puisqu’on ne sait pas où ils vont. Moi, je n’avais que les témoignages de ceux qui restent. Parler de ceux qui partent serait revenu à inventer complètement quelque chose, alors que j’avais accès à des gens qui racontaient les décisions incomprises de leurs proches. C’était plus intéressant de parler de ceux qui restent. Et puis, encore une fois, je me disais : où va aller le film si on suit celles qui partent, dont on ne sait rien ?
Z : Le film est centré essentiellement sur les femmes.
Nathan Ambrosioni : Les personnages féminins m’intéressent plus au cinéma, mais c’est ma sensibilité de spectateur. Quand je vais voir un film, je me sens plus proche d’un personnage féminin. Je crois que c’est un désir de spectateur, une envie de travailler avec des actrices que j’aime. Et puis j’avais envie d’interroger la maternité sous différents aspects. Mais systématiquement, dans la salle, on me demande : « Où sont les hommes dans le film ? » Ça déstabilise certains spectateurs, et ce n’est pas grave. C’est juste qu’on a tellement l’habitude de voir des hommes représentés à l’écran que cela peut perturber certaines habitudes.
Z : Il y a une remarque posée par les enfants : ils disent au personnage de Camille Cottin « toi, t’es riche ». Il y a quand même une prise de conscience, non ?
Nathan Ambrosioni : Oui, ils se rendent compte que leur tante n’a pas eu les mêmes privilèges. Ils perçoivent un transfuge de classe : en allant chez elle, ils se disent « on n’est pas au même endroit : toi, t’es riche, t’as de l’espace, t’as personne chez toi, et tu ne veux quand même pas de nous ». Et eux se questionnent aussi : est-ce qu’être parent, c’est simplement avoir l’espace matériel et mental ?
Z : Le choix des actrices : il y a Juliette Armanet, plus connue comme chanteuse, et le retour de Camille Cottin.
Nathan Ambrosioni : Oui, Camille vient de mon précédent film, Toni en famille. C’est une actrice que j’adore, vraiment extraordinaire. J’aime la façon dont elle fait ses choix : elle est surprenante, audacieuse, et n’a pas peur d’oser des choses que d’autres n’oseraient pas. Elle a quand même été nommée au César pour Connasse, et je trouve ça génial, c’est culotté.
On est devenus très amis, donc j’avais très envie de retravailler avec elle. C’était assez naturel, et, comme je le disais au début, elle a relancé l’envie de faire ce film. Je me suis dit : si elle est là pour l’incarner, je sais pourquoi je vais le faire — pour la retrouver, pour traverser ça ensemble. C’est un sujet intime, qui évoque des choses personnelles, mon rapport à la famille, à la maternité de ma mère.
Et Juliette, c’est Camille qui m’a invité à l’un de ses concerts. J’étais encore en écriture. À la fin, elles se sont prises dans les bras, et leur sororité, leur ressemblance… Alors oui, une ressemblance ne fait pas un rôle, mais je venais de la voir sur scène : son assurance, sa présence… Je me suis dit : « Elle sera capable », je le sentais bien. Elle avait déjà fait quelques petits rôles au cinéma, des documentaires aussi. Elle est passionnante, et elle m’intéressait beaucoup.
Z : Et le petit garçon, Manoâ, parce qu’il est bluffant.
Nathan Ambrosioni : Manoâ venait d’avoir 11 ans, mais il fait plus petit. C’était sa première expérience au cinéma. Il y a aussi Nina Elle, elle a 6 ans, comme dans le film, et une maturité très particulière. On a vu plus de 500 enfants pour trouver les deux personnages. Nina, c’était le premier jour de casting. Elle était super. J’ai tout de suite appelé mon producteur, il m’a dit : « N’importe quoi, c’est le premier jour, il te reste un mois et demi ! » Mais je lui ai répondu : « Ce sera elle. » Et c’était elle.
Pour Manoâ, c’était moins évident. C’est un petit Savoyard, pas du tout acteur de base. Rien à voir avec son personnage : il est très joyeux, très énergique, il court partout. Mais il a une mélancolie dans le regard quand il s’arrête, qui me touchait beaucoup. Et je me disais que c’était suffisant. Il est concentré, bosseur, il avait vraiment envie d’être là.
Les enfants adoraient le tournage, ils s’amusaient tout en restant hyper sérieux et concentrés quand il le fallait. Deux mois et demi de tournage, à leur âge, c’est long ! Mais ils ont tenu avec une énergie incroyable.
Z : Vous avez réussi à les faire pleurer, par exemple ?
Nathan Ambrosioni : Oui, pour Manoâ, la dernière scène… C’était son dernier jour de tournage, donc il était ému que ça s’arrête. J’étais assis à côté de lui pendant la prise, et je lui parlais beaucoup. Ensuite, j’enlevais ma voix au montage : « Passe ta main dans tes cheveux, renifle, pleure, mets ta tête dans tes mains », etc.
Z : Pourquoi le thème de l’homosexualité revient-il dans votre cinéma ?
Nathan Ambrosioni : Je pense que, comme je suis une personne queer, j’ai envie de me retrouver dans les films que je raconte. Et j’ai envie d’intégrer des personnages queers dans des récits qui ne leur sont pas forcément destinés. Parce qu’au cinéma, une personne queer, c’est souvent un personnage dont l’histoire tourne autour de sa sexualité, de son oppression ou de sa maladie… On a eu beaucoup de films comme ça, et c’est très bien, mais aujourd’hui, j’ai envie qu’on intègre des personnages queers dans des récits plus universels, souvent très hétéronormés.
J’ai envie de voir des personnages queers qui vivent d’autres histoires. Ici, elles vivent quelque chose qui n’a rien à voir avec le fait qu’elles soient lesbiennes, et c’était important pour moi. Les financiers me disaient : « Ça complique les choses, pourquoi elle est lesbienne ? Ce serait plus simple qu’elle ait un ex-mari. » C’est là que j’ai compris que c’était essentiel de maintenir ce choix : incorporer des personnages queer dans des situations généralement réservées aux autres.
Une journaliste à Genève m’a même dit : « Alors maintenant, en 2025, on est obligés de se taper des personnages queers dans les films ? » Ça montre que ce n’est pas encore normal pour tout le monde.
Avec le personnage de Jeanne, je voulais qu’elle vive exactement la même chose si elle était hétérosexuelle : ne pas vouloir d’enfant, quitter son conjoint pour ces raisons. Ici, elle quitte simplement sa femme.



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