C’est lors de notre passage au Festival du film de Sarlat en novembre dernier que nous avons eu la chance de découvrir le film Love Me Tender, mais aussi de rencontrer sa très sympathique réalisatrice, Anna Cazenave Cambet.


Voici notre interview.
Z : Le film dure 2h10, est-ce que vous aviez envie de montrer et faire sentir aux spectateurs le temps long que vivent les mères qui attendent les différentes procédures pour obtenir des visites de leurs enfants ?
Anna Cazenave Cambet : ’avais envie que le film soit une expérience du temps. Je voulais montrer la différence entre le temps de l’injustice et celui de l’enfance : dire à une mère “Tu reverras ton enfant dans trois mois”, ce n’est pas la même chose que pour un enfant de perdre trois mois de vie avec un parent. C’est cette idée que j’ai travaillée tout au long du film, en montrant comment l’enfant, comme la relation avec sa mère, change au fil de ces absences. La première version dépassait les trois heures. J’ai beaucoup réduit, mais je reste une spectatrice attachée au temps long. Aujourd’hui, on cherche à tout condenser pour des raisons d’exploitation, mais éprouver 2h15 ou 2h30 d’un récit n’a rien à voir avec un film d’une heure et demie. On en ressort autrement. Et j’ai confiance dans le spectateur. Quand on peut regarder quatre ou six épisodes d’une série dans une soirée, on peut vivre 2h15 en salle. Il est temps de retrouver cette confiance dans le cinéma et dans ceux qui le regardent. »
Z : Comment Constance Debray a-t-elle reçu votre demande d’adaptation ?
Anna Cazenave Cambet : Les droits du livre étaient ouverts depuis un moment quand mes producteurs m’ont proposé l’adaptation. J’avais lu le texte à sa sortie et il m’avait profondément marquée, notamment parce qu’il posait des mots très justes sur des questions de maternité et de parentalité que je découvrais moi-même. Constance Debray tenait à choisir la personne qui réaliserait le film. Une fois notre rencontre faite, elle m’a accordé une totale liberté dans l’écriture. Je lui ai fait lire une version et elle m’a simplement dit : “C’est à toi.” Elle m’a véritablement confié les clés du château. Je me sens très chanceuse, car travailler une adaptation avec l’auteur ou l’autrice au plus près du texte, surtout quand il s’agit de sa propre histoire, c’est une aventure complètement différente.
Z : Ça pose aussi la question de ce qu’est une mère, à travers toutes ces interrogations…
Anna Cazenave Cambet : J’ai l’impression que cette mère, je ne l’avais jamais vue au cinéma. Le mot “mère” est devenu presque générique, alors que pour les pères, on a montré une grande variété de figures, notamment les pères absents. On accepte très bien qu’un film commence par un homme qui part à l’aventure sans jamais se demander ce que deviennent les enfants ou qui s’en occupe. On ne montre pas ce que vivent les enfants quand les cow-boys ou les mafieux s’en vont, et encore moins ce que vivent les mères. J’avais envie de créer un personnage de mère qui ne soit pas moralement lisse, qui puisse être complexe, contradictoire. C’est quelque chose qui m’a manqué en tant que jeune femme, dans le cinéma comme dans la littérature. Heureusement, j’ai le sentiment que les choses évoluent peu à peu, au fil des récits qui se multiplient.
Z : La fin revient-elle à dire que seule une mère est capable de ce sacrifice du deuil ?
Anna Cazenave Cambet : Pour moi, c’est une fin profondément lumineuse, et la plus grande preuve d’amour qu’elle puisse offrir à son enfant. C’est un personnage droit, capable d’espoir, et je tenais à ce que le film s’achève dans cette direction : vers la lumière.
Z : Pourquoi avoir choisi l’actrice Vicky Krieps
Anna Cazenave Cambet : Nous avons d’abord cherché une comédienne française, mais je ne trouvais pas le profil : je voulais une femme grande, physique — le personnage est nageuse — et prête à des changements capillaires radicaux. Je tenais aussi à ce qu’on puisse raconter cette perte d’identité initiale, visible dès la première scène où elle et son ex-mari portent les mêmes vêtements, comme s’ils partageaient encore la même vie. Je cherchais une actrice qui puisse porter ce fracas intime, et après avoir exploré les comédiennes françaises, nous avons élargi la recherche aux pays étrangers. Quand le nom de Vicky est arrivé, j’ai su immédiatement que c’était elle. Obtenir une réponse a pris du temps, elle tournait énormément, mais lorsqu’elle a accepté, tout est devenu évident.

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